26/01/2007

26 janvier 1937

Je ne sais pourquoi vous continuez ainsi à me tourmenter alors que vous savez que jamais je n'accepterai de croire en une vie après la mort. Si vous étiez Robert, comme vous souhaitez me convaincre que vous l'êtes, malgré toutes les différences - mais je veux bien croire qu'un Robert mort soit finalement très différent d'un Robert en vie, vous me feriez l'honneur, vous auriez le respect de me laisser en paix. Je n'ai jamais éprouvé la vie, je ne sais pas de quoi vous parlez avec tant de morgue et de mépris. Au nom de vos anciens amis, au nom de votre mère, je vous en supplie, cessez cette folie et venez en personne me trouver sur le pas de la porte. Je vous pardonnerai, car je crois déceler chez vous, comme chez beaucoup de jeunes auteurs qui ont souhaité naguère demander mon avis sur leur prose, une belle capacité à la narration épisodique - vos aventures en enfer sont aussi invraisemblables qu'elles devraient l'être, mais votre insistance à vouloir m'attirer dans vos sornettes mystiques me peinent, pis, elle me blessent. J'ai montré vos missives à l'un de mes amis constable, qui m'a promis de jeter un coup d'oeil à mon courrier. Je ne sais comment vos lettres arrivent, par quelles astuces vous réussissez votre coup, mais croyez moi, je vous en conjure, cessez, partez, ou bien présentez-moi une oeuvre que je pourrais assumer pour vous, je vous aiderai, je vous le promets, mais ne me prenez pas pour un imbécile, ne jouez pas avec mes nerfs, que j'ai fragiles. Ma santé décline avec le jour, chaque rayon de soleil devient pour moi comme une lame dans la plaie de ma chair, une écharde de vie dans un corps déjà sans vie depuis bien longtemps. Croyez-moi, la mort, je sais ce que c'est, ce n'est pas un lieu, ce n'est pas une expérience, c'est un déni, c'est un refus, c'est se tenir debout malgré les ténèbres, c'est rester de marbre devant le miel, ce ne sont pas ces récits pour enfants, que la religion nous donne à manger depuis la nuit des temps, depuis que l'homme est en âge de soumettre son pareil, personne n'empêchera une partie de l'humanité de mettre l'autre partie en esclavage, c'est ainsi, et je ne prendrai jamais part à un quelconque exercice de cette nature. Bien sûr, si c'est vous August qui tentez de me convaincre de la nécessité de fusionner mon travail en un seul bloc cohérent, si votre pansophisme vous demande de sacrifier le mythe sur l'autel de la mythologie, alors, je vous le demande, je vous le répète, attendez que mon corps soit poussière, que mon âme soit éteinte, et vous pourrez ainsi faire ce qu'il vous plaira de ces perspectives angoissantes, de ces hurlements dans la nuit. Mais, car je suis encore debout, car je suis toujours mort dans la vie, toujours là, sur ce plancher, je vous demande de cesser vos jeux, de sortir à la lumière, que je voie votre visage. Je vous demande la paix de l'esprit, ayez cette franchise, ayez ce respect pour un homme qui n'a jamais voulu que votre bien. Pourquoi me tourmenter alors que vous connaissez ma condition, que vous savez ma détresse et ma peine profonde, l'importance que j'accorde à de tels sujets. Je vous soupçonne d'essayer de me manipuler et de me ravir le peu que j'ai, auquel je ne tiens pas, mais je n'aime pas la duplicité. Soyez franc, discutons, et nous pourrons trouver un terrain. Mais pas comme ça, pas comme ça.

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