28/02/2007

28 février 1937

Robert... j'ai quitté mon travail hier... je n'en pouvais plus des files d'attente et de ces mauvais films et de leurs rires... je suis rentré frigorifié. Le froid qui s'est abattu sur ce pays est comme une malédiction. Je reste au chaud avec Felis près de moi, dans la couverture et la tisane est un jus de vie dans mon corps fatigué. Je sens que je n'en ai plus pour très longtemps. Quand elle est partie, après l'échec de notre séance de lundi, la spirite m'a regardé dans les yeux et ses doigts se sont levés pour me fermer les paupières, comme on fait aux cadavres. Je me suis regardé dans une glace, peu après et j'ai vu le renflement sur ma panse, une grosse boule dans mon ventre qui forme un horrible visage, dont le nombril est l'unique oeil. Un monstre pousse en moi, robert, un monstre plus immonde et plus incroyable encore que toutes ces choses que j'ai vues, que j'ai devinées derrière le rideau de notre perception. Je nourri le démon de mes propres matières fécales, il se repaît de mon sang, de mon intimité. Je suis en train de pourrir, Robert, je peux le sentir grandir en moi, ce monde de ténèbres qui va me prendre. Je n'avais pas compris. Je n'avais pas le courage d'affronter la réalité en face. Aucun traitement ne pourra m'aider, j'ai appelé un docteur, il devrait venir ce soir. Mais je sais ce qu'il va me dire, que je n'en ai plus pour longtemps. Je suis ruiné, épuisé, mentalement, physiquement, et cette chose en moi, que je sens remuer la nuit quand les cauchemars sont trop violents, elle me veut tout entier, elle ne me laissera pas partir. Je meurs, Robert, je serai bientôt là. Près de vous. J'espère que vous allez pouvoir tenir le coup. Je viendrai vous chercher dans votre trou, et je vous tendrai la main. Mais avant cela, avant tout, je dois mettre mes affaires en ordres. Je ne sais pourquoi, désormais, tout devient si clair. J'ai tellement hésité avant de croire en ce que vous me disiez, toutes mes erreurs, mes doutes, ont dressé en moi la forme la plus terrible de mort, le déni de la vie, le dédain du vivant. Aucun dieu ne me viendra en aide, il n'y a rien derrière et j'ai bien peur que vous, comme le reste, ne soyez qu'un dernier cri que mon coeur pousse avant de s'éteindre, une alarme. Il faut bien l'avouer, cela semble avoir marché. Je me suis réveillé. Mais il est peut-être trop tard. Il est trop tard pour moi, mais j'espère qu'il n'est pas trop tard pour vous sauver. J'ai hâte de vous revoir et que nous reprenions ensemble cette idée d'autobiographie que vous m'aviez confiée, le fort Alamo et toutes ces choses. Ah, comme ces repas ensemble me manquent, dans ce restaurant d'un autre monde. Mais je délire, je parle à un mort. Où alors, je me parle à moi-même, devant le miroir d'une page blanche. Je parle à un mort. Je parle à la mort. Ne me tues pas. Pas tout de suite. Je t'en supplie. Encore tant de choses à faire. Le monde ne sait pas ce qui se cache, tapi, dans l'ombre. J'ai vu, je sais. Je dois communiquer Je n'ai jamais osé. Je devrais. Si peu de temps. Et l'horloge, qui tourne encore, sans jamais s'arrêter.

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