09/03/2007

9 mars 1937

Robert, je tousse du sang, j ai mal... ils n'ont pas voulu de moi à l'hôpital hier, ils ont dit que si j'étais capable de marcher jusque là, je pouvais rester à la maison. Je retournerai au Jane Brown demain matin pour prendre une nouvelle série de cachets. J'ai l'impression de fondre de l'intérieur. Comme si tous mon être, tout mon suc, voulait me quitter. Je sais que je n'ai pas pris soin de lui, j'aurai dû comprendre la nécessité, mais toutes mes pensées ont créée entre lui et moi un vide infranchissable. J'ai si mal. Ils disent que peut-être, mon ulcère est devenu critique, ils disent qu'il faut m'examiner, peut-être même opérer. Mais je n'ai pas d'argent, Robert, je n'ai pas de quoi me soigner, pourtant je sais que j'en ai besoin, désormais. Je n'ai pas confiance en eux, pas après ce qu'ils ont fait à Maman, mais je vais devoir faire quelque chose, c'est trop long, j'ai trop attendu, presque deux ans maintenant, que je vis avec cette douleur, au creux de mon ventre, dans mes mains. Tout me pique : comme si des Chinois plantaient des épines au bout de toutes mes extrémités. J'ai du mal à respirer, je ne tiens presque plus debout, si ce n'était par ma fidèle canne. L'appartement est sombre, il sent le camphre et ma sueur acride. Je passe mes journées au lit, à ne rien faire. Le vieux bois craque et se détend, et tous mes manuscrits, toutes mes lettres, sur le bureau, prennent la poussière. Tout me parait si vain. Je n'attend qu'une seule chose, c'est la mort, la grande avanture, la délivrance. J'ai parlé à August de vos lettres, il me dit que je délire, que je m'écris à moi-même pour m'empêcher de me soigner, que je refuse de voir la réalité en face : je meurs et je veux me créer des circonstances de départ favorables. Peut-être ai-je réussi à me mentir à moi-même, par une sublime anamnésie, j'ai pu oublier puis retrouver le chemin de la vérité, le chemin qui mène à vous, Robert. Ne cherchez plus la façon dont mes lettres vous parviennent, je sais qu'il s'agit juste d'un support, totémique je dirais, quelque chose pour nous rassurer, mais dont nous n'avons pas réellement besoin. Le papier est une jouissance matérielle, qui me rassure, qui me donne le sentiment que tout ceci, tout ce que nous vivons, est bien réel. Je ferme les yeux et je dicte cette lettre dans le noir, Félis ronronne, inquiet. Je ne suis pas si vieux, mais je suis fatigué. J'ai trop négligé mon corps et mes amis. Il y a autre chose dans la vie que les cauchemars et les antiquités. Je ne regrette rien, mais j'aurai pu tellement mieux faire. Je n'ai jamais été aussi loin de mon but qu'aujourd'hui. Personne n'a plus confiance en moi, ni en mes textes. Je n'aurai jamais été l'homme que je voulais être. Je n'ai pas pu toucher les parts sombres des lecteurs, ni rendre tangible ce besoin profond de poésie, de mythe, dont l'homme à faire preuve jusqu'ici. Oui, Robert, sur mon lit de mort, je peux le sentir, je comprends que si je venais à vous rejoindre, pour vous sortir de votre trou, alors je pourrai être dans le mythe, dans sa matérialité, et c'est, je crois, tout ce qu'il me reste. Il n'y a ni dieux, ni monstres. Il n'y a que des fleurs.

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